Bypass, sleeve, anneau gastrique : un risque variable d’alcoolisme à distance.
Entretien avec le Dr Vincenzo SALSANO, chirurgien bariatrique.

Un témoignage bouleversant
Mme Locatelli, opérée en 2019 d’un bypass gastrique en Y (LRYGBP) par le Dr Vincenzo SALSANO, a connu une spectaculaire amélioration de santé : passage d’un IMC de 40 à 24 kg/m², disparition du diabète, et une reprise de vie active.
Mais deux ans plus tard, sans suivi médical régulier, elle bascule dans une addiction silencieuse. L’alcool, jusqu’alors absent de sa vie, devient un refuge. Dans ses mots : « Je buvais jusqu’à un demi-litre de Ricard par jour. »
Aujourd’hui sevrée, elle a le courage de témoigner. Ce récit nous pousse à ouvrir les yeux sur une complication encore trop méconnue : l’alcoolisme post-bariatrique.
1. Dr Salsano, pouvez-vous nous expliquer ce phénomène peu connu ?
« La chirurgie bariatrique, et notamment le bypass, modifie profondément l’absorption et le métabolisme de l’alcool.
Plusieurs études ont démontré que le risque d’addiction augmente à partir de la 2ᵉ année post-opératoire, souvent dans un contexte de stress, d’isolement ou de fragilité émotionnelle. Le phénomène de transfert d’addiction, du sucre ou de la nourriture vers l’alcool, en est une des clés. »
2. Quelles sont les difficultés sociales ou psychologiques à l’origine de cette bascule ?
« Après une perte de poids rapide, la vie sociale change. Il peut y avoir des attentes, de la pression, parfois des conflits personnels ou professionnels.
L’alcool stimule la sécrétion de dopamine qui est associée à la sensation de plaisir ; elle est, en effet, impliquée dans le circuit de la récompense.
Et si les anciens mécanismes de compensation alimentaire ne sont plus disponibles, l’alcool peut malheureusement devenir un exutoire. »
3. Existe-t-il des différences entre les techniques ?
« Oui. Le bypass RYGB est la technique la plus à risque. L’absorption de l’alcool est beaucoup plus rapide et son métabolisme est altéré. Le taux d’alcoolémie peut tripler comparé à une personne non opérée. La sleeve semble également exposer à un risque accru, même si les données sont encore à préciser. En revanche, l’anneau gastrique est associé à un risque bien moindre. »
4. Qu’est-ce qui favorise ce glissement vers l’alcool ?
« Plusieurs facteurs :
- Une perte de poids rapide → moins de volume de dilution de l’alcool.
- L’absorption sans prise alimentaire → alcoolémie plus rapide.
- La suppression de l’alimentation émotionnelle → disparition du refuge alimentaire.
Et surtout : le circuit de récompense dopaminergique reste intact, et l’alcool active puissamment ce mécanisme. »
5. Peut-on prévenir ce risque ?
« Absolument. Cela commence par l’information pré-opératoire. Le patient doit savoir qu’un risque d’addiction existe. Puis, le suivi à long terme, au-delà de la 2ᵉ année, est crucial. Il faut évaluer régulièrement la consommation d’alcool, même faible, et rester attentif aux signaux d’alerte. »
6. Quel message souhaitez-vous adresser aux patients et soignants ?
« La chirurgie bariatrique est un outil puissant. Mais elle n’est pas magique. Le transfert d’addiction est réel, surtout vers l’alcool. Mme Locatelli, par son courage, nous rappelle combien il est essentiel de ne jamais banaliser une fragilité et de ne jamais interrompre le suivi.
Un patient opéré n’est pas guéri : il est en chemin, et nous devons l’accompagner dans la durée. »